Oneohtrix Point Never – Nobody Here
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猫 シ Corp. – Palm Mall
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vaporwave
La vaporwave est un genre de musique et une esthétique qui s’est développé dans les années 2010. La première particularité du style, c’est qu’il n’est pas associé à une zone géographique physique, à l’inverse de la majorité des courants musicaux. Ceux-ci proviennent d’une ville ou d’une région définit, et cette localisation est toujours en lien avec les spécificités ou le développement du genre. Par exemple, le son des machines et le contexte industriel de Detroit donnent ses caractéristiques à la techno. Déterminer une vraie origine géographique de la vaporwave n’est pas vraiment pertinent, ce qui le serait plus, ce serait de dire que son origine est Internet : les quasi seuls moyens de diffusion de ce genre étaient des plateformes en ligne de streaming audio, il n’y avait pas de scènes live identifiées, et tous les artistes postaient leur contenu anonymement sous un ou plusieurs pseudonymes différents. Tout cela a contribué à donner un aspect très flou et vaporeux à ce genre de musique et à la communauté qui l’a fait naître.
Ce qui permet la création de contenu musical et visuel au sein de cette communauté, c’est la diffusion, la modification, la mulitplication et le détournement de contenus, par cette masse d’individu, et ce, à partir d’un champ de référence commun. Les capacités de communication et d’échange qu’offre Internet permettent d’abolir la nécessité d’un rapprochement géographique des individus. Cela veut aussi dire que le contexte social et culturel partagé par tous les membres de cette communauté existe à une échelle bien plus importante que celle d’une ville, comme Detroit cité plus haut. Ce fonctionnement de communauté permet en théorie à n’importe quel individu humain d’en faire partie, mais le champ de références utilisé par les artistes vaporwave ressert quand même clairement leur origine culturelle, qui est pour la quasi-majorité occidentale.
Ce champ de références, donc, c’est la musique pop des années 80-90, les musiques d’ambiance (muzak), les malls et les supermarchés, les publicités télévisuelles, les vidéos promotionnelles d’entreprises… Globalement, tout ce qu’était la culture commerciale et consumériste américaine de ces années 80-90. À partir de ça, la manière la plus courante de produire un morceau de vaporwave va être de sampler ces contenus, puis de les ralenitr, de les découper et de les boucler, souvent de manière saccadée. Toutes ces modifications sont parfois extrêmement simples, en exemple : un des morceaux les plus connus de vaporwave, リサフランク420 / 現代のコンピュー de Macintosh Plus, est en fait la chanson It’s Your Move de Diana Ross, mais juste ralentie. Se rajoute à cela un traitement du son lo-fi, c’est-à-dire qui va chercher un appauvrissement de la qualité sonore, en émulant l’effet de bandes magnétiques par exemple, ce qui va accentuer un effet rétro déjà présent en utilisant ces vieux tubes.
L’origine de la vaporwave viendrait principalement de deux genres, antérieurs de quelques années : la chillwave et l’hypnagogic pop. Ils partagent tous les trois les mêmes sonorités rétro/analogique, des modèles de diffusion assez similaires, et chacun génèrent des ambiances mélancoliques ou nostalgiques. Leurs frontières sont très floues et ils peuvent être facilement confondus. Si en teme de style, l’hypnagogic pop possède déjà presque tout ce qui fait la vaporwave, à savoir le sample chaotique et répétitif de tubes des années 80-90, celle-ci se différencie en étant souvent vu comme une réaction parodique à la chillwave, ce qui lui confère, justement avec cette aspect parodique, un positionnement presque politique, qui sera très vite affirmé, mais aussi une ambiguité notamment par rapport au champ culturel commercial utilisé.
La vaporwave génère un fort sentiment de nostalgie (ou quelque chose qui y ressemble), de par les matériaux sonores de base utilisés ; ceux-ci sortent tout droit de l’enfance des artistes de vaporwave : les années 80-90. À cette époque les avancées technologiques, notamment celles en informatique, font émerger de nouvelles esthétiques : la vidéo, l’imagerie numérique, les premières interfaces graphiques des ordinateurs, et les débuts d’Internet. Tous ces progrès baignent dans un imaginaire futuriste ; c’est aussi l’époque ou apparaît l’esthétique cyberpunk. Ces avancées amènent également des changements dans le monde du travail où la place du secteur tertiaire grandit de plus en plus. La cultures yuppie et les businessmen dans des gratte-ciels d’open-spaces sont devenus aujourd’hui iconiques de cette époque. À cela, se rajoute le consumérisme qui atteint des niveaux jamais imaginés grâce à la mondialisation et au néo-libéralisme ; on passe de consommation à surconsommation. Le contexte parfaitement intriqué de ces années-là forge de nouvelles esthétiques qui vont s’imprégner dans la culture générale mondiale par l’accroissement de la production de contenus médiatiques, particulièrement le contenu télévisuel. C’est la première fois que les esthétiques de la consommation et du travail marque autant les esprits, à tel point que maintenant lorsqu’on repense à cette époque, il en ressort souvent ces images-là.
Donc quand la vaporwave reprends les différents objets ou esthétiques culturelles produis dans ces années-là, cette sorte de nostalgie qui en émane ressemble vraiment à ce qu’on pourrait appeler une nostalgie du consumérisme. Ces contenus culturels représentaient tellement un monde nouveau, une utopie futuriste, qu’ils sont aujourd’hui réutilisés avec un réel attachement, et des sentiments sincères. Néanmoins la vaporwave possède une forte ambiguïté, car tout ça n’empêche pas le genre de tenir un vrai positionnement critique, par l’ironie et la parodie de ces mêmes contenus. On le voit dans certaines productions qui deviennent absurdes lorsque l’on voit la multitude de références populaires faites, de manière complétement surjoué, ou la simplicité bête avec laquelle certains morceaux sont créés. Cette ambiguïté est parfaitement assumée ; le fonctionnement capitaliste englobe tout, il génère une culture de la consommation, ainsi que la nostalgie de cette même culture. Ca, la vaporwave l’accepte complétement, toutes ses qualités esthétiques se base dessus, mais elle réussi quand même à adopter une posture ironique et critique, par un geste de création extrêmement simple, et pas par opposition direct et frontale au capitalisme, mais par l’acceptation des effets de celui-ci.
La vaporwave n’est peut-être pas qu’un genre de musique, car l’expérience qu’elle produit n’est pas que musicale : la part importante du visuel, ainsi que le contexte d’accès à cette expérience (le surf, seul face à un ordinateur) de même que le partage de cette expérience avec une communauté, forme un tout non-fractionnable. C’est la projection dans toutes ses caractéristiques qui peut générer tout ça.
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Bibliographie
Lu
- Jon Savage – Machine Soul (2011)
- Domenico Quaranta – Beyond New Media Art (2013)
- Marc Décimo – Le Duchamp Facile (2005)
- Angela Nagle – Kill All Normies : Online Culture Wars From 4chan And Tumblr To Trump And The Alt-right (2017)
- Nicholas Cook – Music : A Very Short Introduction (2000)
- Guillaume Paoli – Éloge de la démotivation (2008)
- Stéphane Dégoutin et Gwenola Wagon – Psychanalyse de l’aéroport international (2018)
- Mark Fisher – Le Réalisme Capitaliste (2009)
- Mark Fisher – « L’obsolescence des chansons intimes », Audimat n°11 (2019)
- John Dewey – Art as Experience (1934)
Mal lu
- David Novak et Matt Sakakeeny – Keywords in sound (2015)
- Kenneth Goldsmith – Wasting Time on the Internet (2016)
Pas lu
- Yves Citton – L’économie de l’attention (2014)
- Fredric Jameson – Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif (1991)
- Kenneth Goldsmith – Uncreative Writing (2011)
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Merry Christmas Mr Lawrence
(Dans un musée, il y avait une énorme installation de lumière qui fonctionnait quand un visiteur branchait son téléphone pour mettre de la musique. Quelqu’un a diffusé ce morceau de Ryuichi Sakamoto, une version uniquement au piano, très chargée émotionnellement. L’ambiance était devenu très étrange parce qu’on avait l’impression qu’il venait de mettre la chanson triste qu’il écoute seul le soir, mais dans un espace public, avec du monde et plutôt à fort volume.
C’était intéressant de voir comment les gens s’empare de cette occasion de diffuser de la musique, et en même temps c’est en partie ce qui donnait un côté raté à la pièce.)
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Émotion
L’ensemble des individus écoutant de la musique seront d’accord pour dire que c’est un médium particulièrement adapté pour transmettre des émotions. Mais d’où viennent toutes ces émotions ? On imagine assez facilement que les systèmes mathématiques d’harmonie sur lesquels sont basés la musique, ferait que telle superposition de fréquences ne sonnerait pas de la même manière qu’une autre. En exemple la différence entre un accord majeur et mineur : le premier sonnera plus joyeux tandis que le second sera plus triste, et ce, même lorsqu’ils sont joués seuls, sans musique avant ou après qui pourrait influencer leur caractère. Si ces émotions sont donc dû à ce système d’harmonie, cela veut dire qu’elles sont dû uniquement au ratio entre les fréquences composant les différents sons, notes et accords. Cela impliquerait que le cerveau est sensible précisément à ces ratios, qu’il est paramétré à en apprécier certains plutôt que d’autre. On découvre avec les neurosciences qu’il y a bien des réactions spécifiques du cerveau à l’écoute de certains intervalles harmonieux, mais cela indique seulement l’appréciation ou non de ces intervalles, et non pas leur capacité à véhiculer une émotion. L’apprentissage culturel joue un rôle bien plus imortant là-dedans, pour preuve ces accords majeurs ou mineurs sont associés à ces émotions uniquement dans la culture musicale occidentale, cela pourrait très bien être l’inverse pour d’autre culutre.
Deru – 1979
sad music
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Funkmammoth – It’ll Be Ok
Ghoose – Your House Never Left
Sehnsucht
Je mentionne à plusieurs endroits une émotion assez intense, qui ressemble un peu à de la nostalgie ou de la mélancolie. Plus précisément, ce serait une sorte de nostalgie, mais envers quelque chose que l’on n’aurait pas connu, ou que l’on ne pourrait pas définir précisément. Cela ressemble à ce que décrit la sehnsucht, un mot allemand qui n’a pas de traduction direct. Il s’agit d’un état émotionnel intense, mais sans origines précises ; le sentiment éprouvé tout comme les causes sont flous, imprécis.
Après m’être demandé comment de la musique pouvait véhiculer une émotion, je me rends compte que la musique (ou les images) présent dans les situations dont je parle, ou bien dans ce mécanisme de « projection » qui revient souvent, agissent plutôt comme des déclencheurs pour ce type d’émotion cité plus haut. Ces contenus ne contiennent pas en eux-mêmes une émotion à transmettre ; ils deviennent déclencheurs de cette émotion seulement lorsqu’ils sont expérimentés dans une situation ou une ambiance particulière, par exemple : conduire de nuit ou surfer pendant des heures. Ces deux situations sont similaires en ce sens qu’elles sont toutes deux monotone/régulière, qu’elle permette d’être dans sa tête, en transe…
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Déplacements
Il serait intéressant de voir sur la totalité de la musique écoutée dans le monde la part qui l’est pendant un déplacement. Se déplacer, que ce soit à pieds ou plus encore avec un véhicule, créer un moment assez particulier d’attente ou de temps perdu pendant lequel nous avons pris l’habitude d’écouter de la musique pour le rentabiliser. Dans le cas des transports en commun, l’utilisation d’écouteurs permet en plus de se fermer dans une intimité.
Un trajet devient vite un moment répétitif, monotone. Si l’on est seul, on ne peut qu’attendre que le trajet se passe. À ce moment-là, on a toute l’attention disponible pour le paysage. Dans cette ambiance contemplative, écouter de la musique fait tout de suite basculer ce moment dans l’univers du cinéma. On expérimente un traveling, la musique nous aide à construire une scène et à s’y projeter, pour signifier un voyage dans un film, il n’y que ces trois mêmes éléments : le déplacement, le paysage, et la musique. On se retrouve à être un personnage sans contexte, entre deux scènes, à ressentir une émotion sans qu’elle soit définie, une sorte d’émotion zéro, ou alors au contraire une sorte de cumul de toutes les émotions potentielles.
Dans le métro (aérien) de New York, en écoutant l’album Something To Do de The Egg, l’expérience du paysage devenait plus intense et plus complexe. Cette sorte de projection dans un film générait un ressenti émotif fort, mais New York étant plus que sur-représentée dans le cinéma, je ne découvrais pas vraiment la ville. Avec la musique, et donc en étant dans ce film, je faisais finalement la même expérience que tous les films que j’ai pu voir qui se passaient ici. L’expérience était suffisamment prenante pour que je me déplace uniquement pour cette raison, les trajets étaient devenus augmentés.
Passez un trajet à conduire en voiture fonctionne de la même manière lorsqu’on écoute de la musique, même si l’on est plus actif puisqu’on conduit. C’est encore une fois un endroit particulier d’écoute, mais aussi pour beaucoup un des endroits où l’on écoute le plus de musique. À tel point que même pour la production de musique, lors du mixage par exemple, certains techniciens vont travailler dans leur voiture, pour être au même endroit où le plus grand nombre va écouter ces productions. Et c’est aussi quelque chose que l’on retrouve chez de nombreux musiciens, Juan Atkins (Model 500) par exemple, explique qu’il essayait chacun de ses morceaux en roulant de nuit dans Detroit, pour être sûr qu’ils correspondent à l’ambiance de ce trajet en voiture. De même, Holly Herndon a composé sa pièce sonore Car pour sa Toyota Matrix, en envisageant tout l’environnement sonore qui se rajouterait au moment de l’écoute.
https://www.duuuradio.fr/episode/conduire-la-nuit-1
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music to study to
Il existe sur YouTube de nombreux directs (qu’on peut assimiler à des radios puisqu’ils tournent 7/7, 24/24) qui propose une playlist de morceaux appartenant à un genre qui n’existe quasiment que sur ces lives : le lofi hip hop. Ils en existent au moins des dizaines, et ils se sont tous calqués sur le même modèle : de la musique hyper-normée (qui serait surement la verison hip hop du smooth jazz), une courte animation typé anime japonais en boucle d’un personnage (souvent une fille) dans une chambre, confortablement installé, en train de travailler. Un grand nombre précise également dans leur titre la mention « to study » : pour travailler. J’ai l’impression que cette mention classifie donc d’un coup la musique diffusée de purement utilitaire ; le but n’est pas de se concentrer sur la musique, elle n’est pas faite pour être écoutée en quelque sorte.
Paradoxe : de la musique nécessitera toujours de l’attention : il vaudrait mieux travailler sans musique, pour une concentration optimale. Mais ce n’est pas la musique en soit qui ferait se concentrer plus. Ce genre de live fait miroiter une situation de confort, celle dans laquelle est la jeune fille et celle aussi qu’on a envie d’atteindre. Cette situation rend l’acte to study confortable, comfy. C’est ce pourquoi fonctionne ces directs, tout est basé sur cette situation imaginaire.
C’est le même mécanisme que l’on retrouve dans la vaporwave : ce sentiment qui s’apparenterait à de la nostalgie mais envers une situation imaginaire ou que l’on n’a jamais connus.
Il y a une grande simplicité dans cet imaginaire. Aucun problèmes apparents/les problèmes de la vraie vie véritable n’existent pas ici. Un monde réel qui n’est d’ailleurs vraiment pas glorieux, dans son ensemble. Dans cet imaginaire là, il n’existe que des choses simples et agréables ; agréables par leur simplicité : un intérieur, un chez-soi comfy, un chat, une vue… Et une tâche à faire : un écrit, un devoir, une recherche, qui semble très linéaire, qui se déroule sans accroc. Ce n’est pas du tout représentatif de ce genre de travail qui implique bien sûr des tentatives, des erreurs, de l’incompréhension, des prises de tête, de l’énervement… Ici, c’est une vision épurée et fantasmée de cette tâche. Ce personnage qui écrit sans relâche, peu importe ce qu’il écrit, ce qui est important, c’est cette situation. On a pas envie de travailler réellement, on a juste envie d’être dans cette situation, ça à l’air agréable.
À la fois, on pourrait y voir cette tendance généralisée à ne plus vouloir se prendre la tête, trop de choses ayant abruti trop de gens, du coup tout effort est problématique. Le monde est suffisamment compliqué comme ça, tout ce que l’on veut c’est être comfy.
Et en même temps, je pense à Éloge de la démotivation de Guillaume Paoli, qui explique comment les motifs (dans le sens les buts, ou les motivations) sont au cœur du fonctionnement de la société capitaliste actuelle, et comment la démotivation dont il parle est une véritable action à l’encontre de ce système. Est-ce que cette envie de « choses qui ne prennent pas la tête » ne pourrait pas faire partie de de cette démotivation ? Même si cela nous rend plus apathique ?
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Battle Station Thread
Battle Station Thread, c’est le nom que porte des fils de discussion sur 4chan où des utilisateurs s’échangent des photos de leur bureau, pour juger de la qualité de leur installation. Ce genre de discussion a dû apparaître originellement plutôt dans la section Technologies, le but de départ devait être de juger l’ordinateur et ses périphériques, combien d’écran, quel type de clavier, quelle marque de souris… Mais ce qui est intéressant, c’est aussi de voir le contexte autour de l’ordinateur, on regarde les meubles, la pièce, le rangement, la déco, la lumière… En fait ce que l’on regarde c’est l’atmosphère dégagé par l’endroit où l’on surf et/ou on travail, c’est l’ambiance de l’espace dans lequel on reste assis des heures devant son ordinateur, entre cocon, cockpit, chambre, espace intime ou antre. Du coup, tout ça s’est construit, s’est presque normé un peu, des codes sont apparus comme dans tout fonctionnement de groupe, il y a ce qui est cool est ce qui ne l’est pas. Et donc, il y a aussi les meilleurs Battle Station, les plus populaires, les espaces rêvés que l’on aimerait trop avoir aussi, qui sont seulement postés par quelques utilisateurs qui savent un tant soit peu aménager et prendre une belle photo. Ce qui s’en dégage, c’est une ambiance, une atmosphère, celle du travail dans un endroit zen et minimal par exemple, ou celle du cockpit très refermé pour passer des heures à surfer.
On peut retrouver dans de nombreux autres fils de discussion cette pratique de partager des images d’endroits où l’on a envie d’être, souvent des endroits confortables, des chambres, en hiver, avec une magnifique vue sur la nature ou la ville… Mais ce qui est plus particulier avec ces photos de bureau, c’est qu’elles mettent en abyme l’endroit où l’on est déjà lorsqu’on y accède. C’est l’envie de regarder des photos de bureau dans un beau bureau qui pousse à en regarder. Alors même qu’une photo de son propre bureau bien rangé et avec un joli filtre pourrait complétement apparaître dans cette série.
Ce que cela montre, c’est que le fait que ce soit une photo (et qu’une seule) est important. Ce qui est à l’œuvre, ce n’est pas la même chose que l’expérience de ces espaces pour de vrai. Dans ces photos, toutes leurs caractéristiques, leurs qualités, leur texture, leurs filtres, leur lumière, leur ambiance, et même finalement toute leur relation avec le reste de leur médium, véhiculent autant que le contenu représenté en lui-même. Un beau filtre de grain façon vieille pellicule va croiser l’expérience de ces photos de bureau avec celle de la nostalgie qui a lieu lorsque l’on regarde des vieilles photos, modifiant l’ambiance dégagée par ces espaces ainsi que la manière dont on se projette dedans. Car tout ça ce n’est finalement que des ambiances dans lesquelles on veut se projeter.
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Surf et projection
Il y a un gros sentiment de nostalgie des débuts d’Internet, même par ceux qui ne l’ont pas connu. Le Web actuel, c’est quasiment l’entièreté du trafic qui passe chez seulement cinq ou six sites/services. Les pages persos fabriquées à la main et individuellement se sont transformées en une multitude de profils sur de nombreux services, gérés par un tiers. Pour ceux qui regrettent la belle époque des débuts, le surf n’existe plus, puisque que l’on reste confiné sur les mêmes réseaux sociaux.
Le surf est une activité à part entière, pendant laquelle on dérive de site en site, de contenu en contenu. Le contexte de cette activité, c’est d’être devant son ordinateur, seul, sans rien faire d’autre en même temps, et pendant une longue période. Physiquement, rien ne se passe à part le mouvement de nos doigts pour interfacer avec la machine, les seuls stimuli sensoriels sont audiovisuels, tout le reste n’est qu’imagination à partir de texte. Être dans cette situation entraîne rapidement un état de concentration assez poussé, qu’on pourrait presque appeler transe (les écrans attirent le regard). Malgré cette apparente inaction, le surf génère pourtant du ressenti, assez puissamment pour nous tenir plusieurs heures durant, sans voir le temps passer.
Ce qu’on traverse en surfant, c’est un ensemble parfaitement interconnecté de contenus (textuels, visuels ou audio), croisé avec des dispositifs d’échange et de communication de ces contenus entre des utilisateurs. Le surf regroupe toutes les relations que l’on peut avoir avec ces contenus en une seule activité, en un seul médium. Les effets produits par son expérience le rendent singulier, et le différencient de l’expérience d’autre média, l’analyse qui peut en être fait se doit donc d’être différente de celle d’une simple image ou d’un texte seul.
L’interaction étant au cœur de cette pratique du surf, des mécanismes ou des comportements de l’utilisateur se sont développés pour permettre un rapport plus particulier aux contenus. Et c’est par ceux-là que l’expérience de cette pratique devient singulière. Ce dont il est question dans les textes plus haut, et qui est parfois nommé (peut-être pas assez précisément) « projection », ce serait l’un de ces mécanismes. Cette « projection » dans des ambiances ou des situations permet une expérience différentes, augmenté des contenus qui en sont liés. C’est un rapport complétement différents à ces éléments, ces images ou ces musiques deviennent des supports, des déclencheurs de ressentis et d’émotions liés à des situations/ambiances.
Situations/ambiances qui sont autres que celles dans lesquelles se passe cette expérience : celle du surf, seul, sur un ordinateur, à son bureau, lorsque l’on doit faire absolument quelque chose, et que l’on fait absolument autre chose, et que les autres bureaux deviennent fascinant.
(C’est peut-être ça le réel fantasme du cyberespace, c’est une interface textuelle (et des éléments audiovisuels) qui permet une réelle et forte expérience émotionnelle)
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Pitch
C’est un roman de science-fiction dont le pitch est que quelqu’un a composé une musique qui est tellement discrète qu’il est impossible de l’écouter. Une sorte de musique d’ambiance parfaite. Toutes les caractéristiques de cette musique auraient été travaillé pour nécessiter le moins d’attention possible, et cela serait tellement efficace qu’aucun auditeur ne serait capable de se concentrer suffisamment pour l’écouter.